Comme il est difficile de prendre congé, cher Alain.
Ce deuil, auquel on ne s'attendait pas vraiment, tout en le redoutant secrètement. Tes derniers concerts - si beaux -, comment prendre congé?
je suis en deuil, avec chaque jour ta voix si présente; des images de toi, glanées le long des nuits à ne plus dormir.
Ton livre d'or est une ode à la vie, ode à tes mélodies.
Relire tous ces messages d'amour. AD LIBIDUM
Et celui-ci entre tous....
Danielle Lambert
Olympia ad libitum
Dans les vertiges de l’histoire de la vieille salle, poussière et fumée dansaient. Un homme grand et mince sous un chapeau noir s’est approché du micro, a lentement posé sa fatigue sur un tabouret, un autre s’est empressé de l’aider à passer sa guitare en bandoulière et ce fut « Comme un Lego ». Taillées dans la roche pure, neuf minutes parfois hésitantes, magnifiquement étincelantes. Prenant immédiatement possession de tout l’espace, une voix à la puissance intacte, inaltérable, comme détachée de son support corporel. Réunissant plusieurs générations de vingt-cinq à soixante-dix ans, l’Olympia a retenu son souffle.
L’homme grand et mince sous son chapeau noir nous a ensuite fait plonger, de Bleu Pétrole à Play Blessure, dans les décades de ses noyades, toutes de même couleur : noir pur rock. Oubliés les yukulélés, les sonorités country, les contre-allées new wave. Tout comme la mise en lumière cinématographique, tranchée, entre Faucon Maltais et Réservoir Dogs, la mise en musique fut implacablement structurée, d’un parti pris en béton, d’une unité remarquable. Eblouissante et vertigineuse mise en perspective de trente ans de musique. Salle clouée, stupéfiée.
L’homme a ainsi enchaîné “Tout est extrême, limites et cônes glacés, tout est idem, les vitrines, les pôles opposés” d’un « Je T’ai Manqué » brut et hypnotique. Passionnément différent de la version enregistrée. « Hier à Sousse » nerveux, définitif, tendu comme un arc, a posé comme une bombe le noir étendard de sa dérive.
“Volontaire”, “Mes Prisons”, “Samuel Hall”, “Vénus”, “La Nuit je mens”, “Sur un Trapèze”, “Je tuerai la Pianiste”, L’irréel”, “Légère Eclaircie”, “A perte de vue”, “Happe”, “Résidents De La République” (sans faute), “Osez Joséphine”, “Fantaisie Militaire”, “Madame Rêve”, “To Bill”, “Vertige De L’Amour”, “Malaxe” : cohérence parfaite de l’ensemble entièrement retravaillé, voix sans faille, structure de granit qui a permis à Yann Péchin de friser l’impro continue en nous enveloppant de longs riffs envoûtants. Pendant ce temps, Jean-François Assy au violoncelle, Arnaud Dieterlé à la batterie et Bobby Jocky à la contrebasse nous ciselaient de la perfection à la seconde, haletante.
Une demi-heure d’ovation debout. Etonnant comme les grands moments prennent immédiatement un parfum d’histoire. Alain Bashung revint sur scène, seul, sa guitare à bout de bras. “J’crains plus rien, le souffle coupé, la gorge irritée, je m’époumonais, sans broncher” : échappé de Fantaisie Militaire, « Angora » a noué deux mille cinq cents gorges autour de celle qui égrenait son fatalisme nonchalant.
Elégance rare, devant un public toujours debout, la voix sépulcrale a enfin délicatement détaché “I love you” d’une version ciselée de « Nights in white Satin ». Il y eut dans le public des mots d’amour jetés, des élans, des trépignements, des murmures brisés, des cris étouffés. Puis, était-ce Bashung ou Gainsbourg ou Dylan, un géant s’en est retourné vers les grandes ombres en levant lentement sa longue main blanche, dans un au revoir insoutenable de sobre solitude.
Olympia, le 15 juin 2008.